En savoir [+] /// Gisèle, l’ancienne propriétaire
Interview pour le magazine Parallèle(s) – septembre 2008
Si son Bateau est ivre, elle ne l’est pas moins : ivre de liberté, d’enthousiasme et de passion. Portrait d’une femme sans concessions, qui a donné sa vie à la musique et au théâtre.
Avant la rue Édouard Vaillant, le premier Bateau était quartier Blanqui. Comment est-il né, ce premier Bateau ?
D’une histoire d’amour ! Joël, mon compagnon de l’époque, était passionné de musique, moi de théâtre. On a ouvert ce lieu – ouvert 7 jours sur 7 -complètement atypique : une petite scène, une cheminée, des jeux de tarot, de la restauration… Pas de subventions, pas de salaire, on a tout fait de 82 à 87 : courses, bouffe, régie, programmation, collage d’affiches, plus les déplacements à Bourges, Avignon, sur tous les festivals : on dormait 3 heures par nuit !
Découvreur de talents, c’est rentable ?
Gilles Servat, Maurane, Stéphane Echer, Christian Vander…. Ils sont nombreux, ceux qui allaient devenir célèbres, à être passés chez nous ! Mais l’étroitesse du lieu, et surtout les problèmes de voisinage, nous ont amenés à déménager dans ce qui était un ancien cinéma, avec une scène beaucoup plus grande et une jauge 4 fois plus importante. Et là encore tout ce qui allait compter dans la scène française est venu au Bateau : la Mano Negra, Noir Désir… En 89, Jack Lang vient au Bateau et plaide en notre faveur auprès de la ville. Parce que depuis le début, on était à part, on ne savait même pas que les subventions, ça existait ! Aujourd’hui, les directeurs de salle font des études de management, sont dans le côté administratif et argent public, nous on avait juste une passion, et on pensait que si on l’avait, on pourrait la tenir, mais non, on n’y arrive pas, et c’est une activité qui n’est jamais rentable… On était d’une naïveté et d’une pureté totales…. Aujourd’hui, avec les coupes sombres DRAC et Région depuis 2004, on n’est plus que 3 permanents au lieu de 5…
Comment a évolué le métier de diffuseur ?
Avant, les artistes gravissaient des échelons, en commençant tout petit, dans des bars, des petits lieux, puis certains arrivaient très haut. Maintenant, l’artiste est directement propulsé très haut et très vite (médias, télés, maisons de disque). Il faut une rentabilité immédiate, quitte à être oublié très vite… C’est de plus en plus difficile, car la plupart des tourneurs, les nouveaux surtout, sont des VRP, et ne défendent plus l’artistique…. Ce sont des vendeurs qui vendent un produit, point barre. Donc ceux-là on les met de côté, on les laisse bosser avec des structures qui ont du budget, nous on est obligés de gérer au plus près. Et les artistes sont coincés dans ce système, ils ne savent même pas que ça se passe comme ça ! Je pense qu’on ne communique pas assez avec les artistes là-dessus, il y a une sorte de fatalisme, car les artistes au finish ne gagnent pas plus sur la fiche de paie !
Quid de l’avenir proche ?
Je ne le vois pas…. 2008-2009, c’est sûr, la prog est faite. Quand on démarre une saison, on est obligés d’aller jusqu’au bout, il y a des abonnements, des engagements avec des artistes…. Après, au niveau perso, j’aimerais lever le pied…. Et je suis à 0 budget au niveau DRAC et Région, je ne sais pas ce que ça va donner côté mairie et département, on n’est que 3, et je ne peux pas embaucher de personnel, d’autant que les emplois aidés, c’est foutu ! 3 au lieu de 5, c’est fatigant, ça fait 26 ans que je mène cette vie ! Je crois que je suis capable de partir, et c’est vrai que je l’ai dit régulièrement, mais là le problème va devenir crucial : avec 45 000 € en moins dans le budget, il ne faut plus se fermer les yeux ! Il ne faut plus aujourd’hui compter sur l’argent public, il faut aller vers le mécénat privé, mais c’est compliqué…
Qu’est-ce qui donne la force de continuer ?
J’ai toujours l’envie et la passion, j’ai toujours le bonheur de regarder un spectacle, les yeux écarquillés, enrichissant de côtoyer le public et les artistes, c’est aussi un boulot où je peux garder ma liberté et mon indépendance, choses auxquelles je tiens par-dessus tout, même si quand il y a un concert on se fait des journées de 15 ou 16h ! C’est une autre vie….Sans citer personne, ce n’est pas le propos, il y a des tas de directeurs de salle qu’on ne croise jamais pendant les manifestations ! Moi je suis à Avoine, à Terres du Son, à Aucard, aux Années Joué, à Rayons Frais…
À un moment, tu as continué seule l’aventure : c’est quoi, être une femme dans ce milieu ?
Tout n’a pas changé ! Nous les femmes devons toujours nous battre ! À des comportements, des attitudes, on te fait sentir que tu es une femme, il y a toujours des rapports de force. Donc tu t’endurcis, moi je suis entière et je n’ai pas la langue dans ma poche ! Mais (rires) il y a des contreparties : en matière de séduction, une femme d’entreprise, ça plaît ! Mais c’est niet ! Personne ne viendra mettre les pieds dans mon pétrin !
Tu parlais de la future SMAC : qu’en penses-tu ?
C’est une très bonne idée ! À condition que toutes les tendances musicales soient respectées. A la limite ça m’arrangerait bien, car il y a des choses que je ne peux pas forcément accueillir au Bateau, à cause du voisinage, comme un DJ jusqu’à 5 heures du mat ! J’ai toujours pensé que la diversité de l’offre est très importante pour le public. Certains pensent que plus on offre, moins il y a de public, je dis que c’est faux : le public fait ses choix.
Revenons à ta saison 2008-2009…
J’ai plein de coups de cœur ! Sur des choses à découvrir, même si je sais d’entrée de jeu que je vais perdre de l’argent, parce que ce sacré public veut toujours voir les mêmes artistes, et qu’il ne se déplace pas en force pour les inconnus ! Mais je me dis que si c’est ma dernière saison, j’ai envie de me faire plaisir, par ex avec le plateau de Karinouche, pour laquelle j’ai complètement craqué, avec Carmen Maria Vega : une super soirée de nanas décalées et très talentueuses. Pourtant, quand les gens font la démarche de venir et de découvrir, comme cette année les Flos, en première partie de Ours, ils sont aux anges ! Mais ils sont 50, pas plus ! Quand j’ai fait découvrir Nicolas Jules en première partie de Miossec, les gens étaient ravis ! Et là j’ai l’impression que je fais mon vrai boulot, car mon boulot ce n’est pas de faire venir quelqu’un de connu, c’est de faire découvrir, et là c’est du bonheur. Après j’ai découvert les Noces Gitanes à la Fête de la musique, ces 4 jeunes mecs sont géniaux ! Mais j’ai peur de perdre trop d’argent et ça m’emmerde d’avoir toujours ce côté fric dans la tête ! C’est trop cher de faire venir les gens ! Le coût, l’hôtel, la bouffe, la Sacem, les intermittents techniciens, ça fait des additions à rallonge et là tu te dis il faudrait mettre les places à 20 ou 30 €, mais les gens ne viendront pas pour une découverte à ce prix !
Ce ne serait pas mieux que le Bateau coule avec toi, si intimement liée à son histoire ?
Le public ou les artistes ne pensent pas ça. Des jeunes viennent me voir, les larmes aux yeux, en disant mais s’il n’y a plus le Bateau, on ira où ? D’où la nécessité que la nouvelle SMAC joue son rôle ! Ici, on est en pleine ville, on y vient à pied, il y a un gros affectif lié au Bateau., au moins 2 générations l’ont fréquenté ! On a fait une enquête auprès de nos abonnés, avec en retour plein d’encouragements, des gens prêts à payer plus cher : ça fait chaud au cœur, c’est vrai que ça ne donne pas envie d’arrêter….
Ils sont passés au Bato
Article de Marie Lansade pour Parallèle(s)